Pour une clochardisation de la société.

Manifeste du Placard Mécanique Auvergne.

Mai 2006, an 01.

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Affirmer que la société est en train de se clochardiser n'empêche pas d'aborder les faits de manière rationnelle pour pouvoir s'entendre sur la définition des termes utilisés, sur le diagnostic à établir et les enseignements à en tirer. Au contraire ! La place du clochard dans la société est peut-être encore la seule qui, loin des postes de télévision, des revenus laborieux et en prise directe avec le regard de l'homme sur lui même à permettre l'observation lucide qui fait défaut à la majorité silencieuse ou contestataire. La clochardisation est un humanisme, elle remet l'homme au centre de sa merde.

Mais de quels clochards parle-t-on et qu'entend-on par processus de clochardisation de la société ?


Qui sont les clochards ?

Il existe deux grandes catégories de clochards. La première en train de disparaître peu à peu ne compte plus que quelques membres actifs, pas les moins visibles cependant. Cette catégorie de clochards entretient difficilement l'image d'un âge d'or de la cloche aujourd'hui révolu. Ce clochard là ne dort plus sous les ponts, il est suivi par des assistantes sociales mariées à de petits chefs d'entreprise, symbole de leur réussite conjugale et justification de l'aumône qu'elles se sentent obligées d'accomplir pouvant ainsi honorablement demander à leur progéniture batarde de verser une larme devant les fauteuils roulants difformes du Téléthon tandis que, joyeuses et transportées, elles décrochent le combiné téléphonique pour faire grimper de 50 euros le compteur de l'escroquerie génétique et légumineuse.

Ce clochard là n'inspire plus les grands réalisateurs, il n'en sort que des films sociaux et dérangeants comme s'il fallait applaudir les arrêtés anti-mendicité d'un gouvernement fascisant et donner de la matière à gémir aux associations citoyennes et aux syndicats réformistes. Mais ce clochard là mérite-t-il mieux qu'un reality show de la misère quand il mendie les excédents consuméristes à la sortie des grandes surfaces ? Quand la merde déborde c'est encore de la merde. Il a fini d'être immortel, il se fait ramasser par le SAMU social l'hiver et n'attire plus que la compassion de l'abbé Pierre. Ce clochard là ne s'épanouit plus dans la détresse, il ne sait que se réfugier dans le nihilisme alcoolisé de son effondrement, il ne veut qu'une chose : qu'on donne un peu moins de longueur à sa laisse tant il vomit son oisiveté.

La relève n'est plus assurée et il ne faut pas confondre ce dernier avatar de la pauvreté avec son successeur. Le clochard nouveau est là, il ne mendie pas et crache à la gueule de tout ce que la terre a de socialement admis tant les conventions l'enlisent.

Lui ne traîne plus les mauvais parkings de supermarchés pour implorer sa bière à 4°, il ne s'endort plus dans les discours crasseux des travailleurs sociaux en suppliant son bon alimentaire. Il ne chiale plus, il a fini de gémir et de sangloter dans son carton. Le clochard nouveau est un bastion de liberté, il n'implore plus la Vache qui rit de la Croix Rouge, il a repris toute son inconscience. Il sait que si le clochard est menaçant c'est d'abord par son effrayante autonomie, son insoutenable liberté et sa dérangeante qualité de vie. Ce clochard est le véritable détenteur d'un autre futur, le seul à vivre un autre modèle d'organisation sociale et de production énergétique. Plutôt qu'à écrire des sociétés totalitaires sur du papier qu'il s'échangerait au milieu de déambulations revendicatives il quitte ses cartons... autogestion.


La clochardisation de la société est un moment que tout le monde attend mais que personne ne veut admettre. Quand les organisations politiques, syndicales ou associatives réclament davantage de justice sociale, d'égalité et de partage de la richesse elles demandent, en réalité, des droits, des devoirs et des revenus qui soient les mêmes pour tous, empreinte écologique comprise. Partant de là deux solutions. Soit que nous, petits bourgeois endormis par l'hédonisme flagorneur d'un occident colonialiste continuions à nous bercer de la douce illusion que notre mode de vie est extensible à la planète entière et là nous savons que c'est de dix planètes dont nous avons besoin, soit qu'au contraire, nous en terminions avec cette schizophrénie qui n'en finit pas de nous donner bonne conscience et parlions d'égalité planétaire des revenus et des ressources à savoir : 300 euros par personne par mois (400 euros patrons pendus) et un hectare de terre chacun (avec les tripes des propriétaires fonciers). Un seul monde est viable et ce sera un monde de clodos. Admettons-le. Le slogan brandi par les altermondialiste : « D'autres mondes sont possibles... » a besoin d'un petit complément « ... mais dix sont nécessaires ! ». Fini le commerce équitable et les voyages à Porto Allègre même en classe économique.

On pourrait se dire que la clochardisation n'invente rien, qu'elle existe déjà depuis longtemps, qu'elle s'appelle décroissance. Il suffit de comparer un décroissant et un clochard pour que cette remarque vole en éclat. Que veut le décroissant ? Une peau de bête, deux silex et que papa prenne la 206 de maman plutôt que le 4 x 4 tout neuf pour aller faire ses consultations à domicile. Le décroissant est un spécimen urbain en mal de mysticisme qui apprend à reconnaître les arbres comme d'autres attrapent une épicondylite latérale. Il est partisan de la non violence qu'il commence par s'appliquer à lui-même en ne faisant rien. Le décroissant se nourrit dans les magasins bio et se ressource dans les stages de Reiki à 300 euros les deux jours (hors logement et nourriture). Le décroissant n'ingère aucune substance qui pourrait modifier sa vision idyllique et réactionnaire du monde. Il est très porté sur la musique New Age et la méditation, c'est un peu ce qui le rapproche du clochard commun : rester le cul par terre et ne rien faire.

La clochardisation c'est bien autre chose et s'il fallait la rapporter à la décroissance il conviendrait plutôt de dire que c'est la décroissance des punks.

Alors cette vie de clochard n'aurait pas de sens, ce serait une vie éparpillée de repères fluctuants et instables, une vie qui irait n'importe comment ? Mais ne vaut-il pas mieux n'importe quel sens que pas de sens du tout ? Et cette vie rythmée par la pratique collective et mimétique de la peine salariale quel sens a-t-elle ? Celui du sens manquant, disparu sans laisser de traces, sans une seconde pour s'en souvenir ou s'en émouvoir, cette vie de cafards exploités défendue becs et ongles par les propre à rien de salariés qui tous les jours, sans se poser de questions, se lèvent et marchent en rang, dégueulent des autobus et des métros, des embouteillages périphériques et des échangeurs saturés, enfilés dans leurs douloureuses attentes derrière le pare brise dégivrant de leur lâche obéissance, cet accomplissement volontaire de l'holocauste planétaire quel sens a-t-il pour cette ressource humaine du capital ? Non, avouons-le, la clochardisation est une étape nécessaire, une fièvre salutaire pour en finir avec ce génocide que nous sommes en train de nous infliger. Un pas à franchir ? Sûrement. La liberté des uns commence où s'arrête la servitude des autres.


« Deviens ce que tu es. Fais ce que toi seul peut faire. » Ainsi parlait Zarathoustra.